#1 – Qu’est-ce que l’éducation populaire ?

Une définition introuvable !

Il n’y a pas de définition claire du concept d’éducation populaire. Tout ouvrage sur le sujet commence par en donner sa propre définition… Pour voir à quoi ça ressemble, en voici une, celle d’Alexia Morvan (le lien pour la télécharger est en bas de cette page) :

« L’éducation populaire est un ensemble de moyens culturels, de processus d’apprentissage mutuels et d’inter-influence, qui visent à entretenir dialectiquement l’esprit critique sur la réalité sociale et les pratiques d’émancipation pour la transformation sociale. »

Conçue par Franck Lepage (il a notamment réalisé une conférence gesticulée sur l’histoire de l’éducation populaire) et Luc Carton, voici une autre définition qui a l’avantage de proposer un processus d’éducation à la démocratie, par la pratique.

« Est démocratique une société qui se reconnaît divisé, c’est-à-dire traversé par des contradictions d’intérêts, et qui associe à parts égales chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions, la délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage ».

L’idée centrale de cette définition, c’est que la démocratie, pour être vivante, nécessite que les conflits d’intérêts qui divise la société soient débattus et arbitrés par les citoyens.

Une éducation au conflit démocratique

L’éducation populaire est ainsi une éducation au travail des conflits. Il s’agit de coopérer à arbitrer les conflits d’intérêts qui divisent une organisation ou une société. Ce n’est pas inné et
naître en démocratie est bien loin de suffire pour jouer correctement son rôle de citoyen !

La démocratie ne s’enseigne pas, elle se pratique. Et quand on ne la pratique pas, la démocratie recule. Pour moi, l’éducation populaire est la pédagogie de la démocratie. Tout processus organisé par la société civile et visant l’approfondissement de la démocratie peut ainsi être qualifié d’éducation populaire. Même si les personnes qui vivent ce processus ignorent ce concept !

L’éducation populaire peut donc être vu comme l’ensemble des actions visant à faire advenir, se maintenir ou renforcer la dimension démocratique d’une organisation humaine. Elle ne peut donc pas être descendante, c’est-à-dire conduite par le pouvoir en place. Au niveau d’une nation, elle n’est donc pas l’œuvre de l’État mais de la société civile. C’est pour cela que « éducation populaire » signifie « éducation par le peuple », contrairement à l’éducation nationale, qui est faite par l’État (ou, par contrat, au nom de l’État).

On parle donc de l’éducation populaire comme pratique de démocratie « par le bas ». En quoi est-ce intéressant, utile de la mobiliser lorsqu’on accompagne des citoyens à se mobiliser au sein et en faveur d’une gouvernance partagée ?

Un peu d’histoire et de géographie

Tout comme un commun se construit face à une urgence sociale et écologique, une menace ou un volonté de faire autrement, l’éducation populaire s’est construite sur des luttes sociales et politiques.

Par exemple au début du XXe siècle face à l’Église (ayant abouti à la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat), dans les années 1930 face au Patronat (ce qui a donné le Front Populaire), après la Seconde Guerre Mondiale (porté par le Conseil National de la Résistance). Ou ensuite par les mouvements féministes et écologiques dans les années 1960 et 1970.

L’éducation populaire est un concept français – même si bien sûr l’organisation collective ,la défense des droits humains ou de la démocratie se retrouvent dans toutes les cultures et à toutes les époques ! – (certains historiens situent sa naissance à la Révolution Française), qui a été adopté, notamment via le courant de la théologie de la libération en Amérique du Sud où il a conservé une dimension politique bien plus affirmé qu’en France ! En Belgique, il est plutôt question d’éducation permanente, en Angleterre de non-formal éducation et aux États-Unis de Community Organizing.

Et aujourd’hui ?

En France, des mouvements se réclamant de l’éducation populaire ont été reconnus par l’État après la seconde guerre mondiale – ce qui leur a permis d’accéder à des financements publics, puis ce secteur s’est professionnalisé dans les années 1960 et 1970 – les personnes formées remplaçants les militants dans ces mouvements. L’éducation populaire a alors cédé la place à l’animation socio-culturelle.

Ces mouvements sont ensuite petit à petit devenus des opérateurs de l’État dans le champ de l’enfance, du sport et de la culture. La dimension politique de l’éducation populaire a ainsi peu à peu disparu.

On parle cependant d’un renouveau de l’éducation populaire depuis la fin des années 90, notamment par les luttes anti-mondialisation, les forums sociaux mondiaux, le zapatisme, ou plus proche de nous par l’expérience de la ZAD ou les Gilets Jaunes en France ou les mouvements sociaux #Meetoo et Black Lives Matter dans le monde.

Un concept à la mode

L’éducation populaire est, après une longue traversée du désert, un concept qui revient à la mode et qui est invoquée dans de nombreux réseaux associatifs, syndicats ou partis politiques comme solution magique pour démocratiser des organisations souvent encore très pyramidales.

Une forme de croyance dans ce concept amène à croire (ou faire croire) que de pratiquer des outils de d’expression, de débat, de décision… estampillés éducation populaire va garantir le respect des valeurs démocratiques au sein d’une organisation.

Ce n’est malheureusement pas le cas, les outils ne sont pas magiques, et travailler les conflits au sein d’une organisation revient entre autres à analyser la pratique du pouvoir. Et le pouvoir a souvent tendance à poser des limites à ce désir de démocratie : utiliser des outils plus participatifs, oui, mais remettre en cause le pouvoir, non !

La vision « les outils ne suffisent pas car la démarche est avant tout politique » est aussi un point commun avec l’APC… L’APC aussi induit, au-delà des méthodes et outils de concertation, de repenser les formes de domination et les rapports de pouvoir.

Vers la transformation sociale

De fait, l’expérience montre que la réussite d’actions de transformation sociale repose sur une articulation entre 3 manières d’agir sur une problématique sociale, selon que l’on agisse au nom du pouvoir, contre le pouvoir ou en dehors du pouvoir en place dans l’organisation humaine que l’on souhaite transformer.

Ces trois logiques d’action ont chacune leurs intérêts et leurs inconvénients. Et une transformation sociale n’est possible que lorsque ces trois logiques d’action sont bien en place face à une problématique sociale. La transformation sociale est comme un tabouret à trois pieds : lorsqu’un pied est abîmé, le tabouret ne tient pas debout.

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