Histoire de l’éducation populaire

Extrait du rapport provisoire de l’offre publique de réflexion sur l’avenir de l’éducation populaire, lancée par le Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1999

– Les trois courants de l’éducation populaire

A – Le courant républicain laïque

Incarné par Condorcet et la problématique citoyenne : l’instruction doit être accessible à tous et former des citoyens, elle doit être prise en charge par la République. Ce courant porté par la bourgeoisie industrielle progressiste est incarné aujourd’hui, notamment par la Ligue de l’enseignement. Pour Condorcet il n’y a pas de démocratie du pouvoir sans démocratie du savoir. L’instruction doit être assurée par la République dans les écoles indépendantes du pouvoir politique. Dépendante de l’assemblée de base, l’instruction des enfants est complétée par un droit et une nécessité d’apprendre toute sa vie. Cette dimension est aujourd’hui dominante dans les représentations de ce qu’est l’éducation populaire : c’est la diffusion du savoir qui forme des citoyens. C’est aussi la vérité de ce postulat qui est violemment remis en question par la société actuelle : ce qu’on appelle le capitalisme informationnel ou culturel, rend les savoirs surabondants, sans modification de la structure sociale.

B – Le courant confessionnel catholique,

Les protestants se sont ralliés au premier courant. Les héritiers de cette tradition souhaitent garder la morale, s’inscrire dans une problématique d’aide, d’assistance, de surveillance, de moralisation. : maison des femmes en quartiers ouvriers, apprendre à bien tenir sa maison, instruire pour garder la morale. Ce courant incarné par le sillon de Marc Sangnier va découvrir peu à peu la problématique de l’exploitation. “Tant qu’il y aura la monarchie dans l’entreprise il n’y aura pas de république ». En 1910, Marc Sangnier est même condamné par le pape pour avoir incité à adhérer à la CGT. Ce courant, orienté vers la problématique actuelle du “ lien social ”, pourrait s’incarner aujourd’hui dans des formes d’actions sociales telles que celles prônées par les centres sociaux.

C – Le courant du mouvement ouvrier.

Au 19e siècle apparition de la classe ouvrière liée à la concentration industrielle, avec des conditions de vie et de travail catastrophiques (soixante-dix heures par semaine), le travail des enfants à huit ans, et des adultes réformés à 60% dans les départements industriels. Il faut attendre 1848 pour voir avec le manifeste du parti communiste l’apparition de la première analyse critique de cette économie. Les syndicats sont interdits mais le mouvement ouvrier fait naître des amicales, des mutuelles et des coopératives. Les ouvriers se demandent s’il convient d’envoyer leurs enfants à l’école de la bourgeoisie ou de leur dispenser une culture et des valeurs propres à la classe ouvrière. Les enjeux de l’instruction sont importants : quels contenus ? Qui éduque ? Quelle formation ? Qui doit-on éduquer ? Qui contrôle l’école (loi Falloux) ? On assiste au tout début de la formation professionnelle mise en place par les patrons le soir et le dimanche, et les premières apparitions de formes de l’enseignement mutuel par des ouvriers.

Avec la commune en 1871, le premier gouvernement ouvrier de la « République sociale » proclame » « la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme », l’adoption du drapeau rouge, la séparation de l’église et de l’Etat, l’instauration d’un ministère du travail, la suppression du travail de nuit, le moratoire sur les loyers, l’enseignement laïc et gratuit, l’enseignement professionnel assuré par les travailleurs, la cantine gratuite, les fournitures scolaires gratuites…le rôle des artistes et des intellectuels est affirmé : Jules Vallès, Gustave Courbet…on ouvre les musées au public, on parle de formation culturelle. La Commune vit sous le règne des assemblées générales permanentes.

Il faut attendre 1880 et l’élection d’une petite bourgeoisie pour voir l’amnistie des communards, le droit de grève, le droit syndical, l’école publique laïque et obligatoire, les premières bourses du travail. En 1895 naissance de la Confédération Générale du Travail, qui fédère tous les syndicats. Apparaissent les bourses du travail, les maisons de syndicats. Courant très frileux par rapport à l’école publique tenue par la bourgeoisie. La bourgeoisie, elle, veut réintégrer la classe ouvrière dans la République. Les premières revendications sur la culture datent de 1888 : « Huit heures pour vivre ». Apparition du premier mai, non pas fête du travail, mais fête des travailleurs en lutte (avec ou sans emploi.) Les ouvriers réclament des bibliothèques dans les entreprises, des cours du soir, en dehors des questions de productivité, de l’économie, de la philosophie, de l’histoire. Apparition des premiers musées du travail : statut culturel de l’outil, œuvre de culture. Avec les figures de Pelloutier et Griffuel : (« ce qui manquait à l’ouvrier, c’est la science de son malheur »), il faut « instruire pour révolter ».

Après la guerre mondiale de 14-18, disparition de l’utopie de solidarité des travailleurs : « on ne fera pas la guerre entre nous ». La révolution soviétique porte les travailleurs au pouvoir.

Scission dans le mouvement ouvrier. Création du parti communiste en France.

Journée des 8 heures acquise en 1919. Loi sur l’enseignement professionnel.

En 1932 victoire de la gauche (SFIO et radicaux.) 1934 putsch de l’extrême droite.

1936 Front populaire. Accords de Matignon. Augmentations de salaires, liberté syndicale, conventions collectives, délégués du personnel, (mis en place par les patrons), semaine de quarante heures (la semaine des deux dimanches), 12 jours de congés payés. Secrétariat d’Etat aux sports et aux loisirs. Billet populaire de congés payés. Office du Blé, contrôle sur la Banque de France et prolongation de la scolarité jusqu’à 14 ans. Centres d’éducation ouvrière gérés par des enseignants syndiqués : Comment faire de la formation en milieu ouvrier ? Formation des « guides compagnons » pour accompagner les ouvriers et résister à l’histoire thermidorienne de Paris. Naissance des CEMEA (formation et réflexion avec des syndicalistes et des chercheurs, psychologie de l’enfant.) Naissance des CLAJ.

1939 : Vichy supprime les syndicats, met en place les corporations. Fin de l’école laïque, ministère des loisirs et encadrement de la jeunesse. Dans la résistance s’organisent des activités culturelles dans les maquis. Naissance de PEC. Réflexion sur la place de la culture. Joffre Dumazedier conceptualise la notion de « développement culturel » pour combattre intellectuellement celle de « développement économique », dans une logique où il s’agit de se forger des armes critiques contre le capitalisme.

1944 André Philip crée la République des jeunes dans une philosophie d’humanisme anticapitaliste. Naissance de la direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse, puis de la direction de l’éducation populaire et des mouvements de jeunesse au sein de l’Education Nationale

Le courant laïque considère à ce moment là que l’école est acquise et n’est plus à défendre, qu’il faut travailler autour de l’école. Le mouvement ouvrier est puissant et organisé. Il est représenté au gouvernement et obtient de nouvelles conquêtes : Vote des femmes (proposé par un élu PC), planification de l’économie (nationalisations), sécurité sociale, droit de grève des fonctionnaires, création des comités d’entreprise (compromis pour ne pas laisser les ouvriers prendre la direction.)Le mouvement ouvrier va utiliser le comité d’entreprise. C’est autour du travail dans l’entreprise que s’organise la culture, en lien avec la production, il s’agit d’établir un regard sur la gestion. Naissance de Travail et Culture, de Tourisme et Travail. Education populaire florissante. La ligue de l’enseignement se reconstitue et engage à nouveau une défense de la laïcité. Mise en place des conseils de parents d’élèves. Le rôle de l’état devient plus important. Apparition de la décentralisation dramatique, du plan Langevin Wallon, de l’éducation civique.

Le tournant de 1958 : la 4ème République sombre dans les guerres coloniales. Le grand capital s’organise avec les multinationales. Avec l’apparition de l’animation socioculturelle, se met en place une doctrine de la neutralité. Le ministère de la culture réalise un unanimisme culturel. 1968 fait voler en éclats cette unanimité. Énorme mouvement ouvrier : conquête du SMIG, des sections syndicales dans l’entreprise, de la quatrième semaine de congé payés. En 1971 la loi sur l’éducation permanente (pour acquérir une employabilité ? Pour réguler la crise de l’emploi et le chômage ?.)

Une histoire en cinq temps1

Comprendre les rapports qu’entretient le concept d’éducation populaire avec une histoire du mouvement social en France, permet notamment d’analyser les modifications du champ et les perspectives de redéploiement. On peut, sans brutaliser l’histoire, synthétiser cette évolution comme suit :

A – L’éducation populaire comme dimension culturelle du mouvement ouvrier

Le temps mythique de l’éducation populaire c’est le temps où l’on n’en parlait pas, c’est-à-dire le temps où l’éducation populaire était la dimension culturelle de la production de l’action collective. C’est la définition primitive de l’éducation populaire : Avant d’être une action spécialisée et bien avant de l’inscrire dans des associations labellisées, l’éducation populaire c’est la procédure qui permet de construire du syndicalisme, c’est-à-dire la production collective de connaissances, de représentations culturelles, de signes qui sont propres à un groupe social en conflit. A l’origine l’éducation populaire est une dimension du syndicalisme à une époque où le syndicalisme est en même temps mutualisme et coopération. Dans l’histoire du mouvement ouvrier, cela correspond à la deuxième moitié du 19ème siècle. Un peu partout en Europe, surtout du côté des grandes social-démocraties du Nord, on doit lire l’histoire du mouvement ouvrier comme étant l’histoire d’une action collective qui est simultanément culturelle, sociale et économique. Très concrètement cela se joue comme ceci : Pour créer un syndicat il faut commencer à faire des réseaux d’échanges réciproques de savoir – comme on dit aujourd’hui ! A l’époque ce n’est pas ludique, c’est essentiel, c’est constitutif de la démarche même de créer du syndicalisme, d’échanger des connaissances sur ce qui se passe, pour produire une analyse de ce qui se passe et produire bien sûr un contre projet par rapport à ce qui se passe. Et c’est pourquoi à l’époque le syndicalisme abrite de l’action culturelle économique. Parce que c’est bien dans l’acte socialiste utopique, qui reste encore aujourd’hui incontournable, de générer un autre mode de production et de développement, que le syndicalisme affirme son projet. Son projet n’est pas à l’époque de mieux échanger du travail contre du salaire mais d’arriver à ce que le travail ait du sens, et que ce sens évidemment soit reconnu, y compris d’un point de vue monétaire. C’est donc pourquoi à l’époque, inextricablement, le concept de mouvement ouvrier recouvre cette alliance d’une action culturelle, et d’une action sociale qui n’est pas encore administrée, ni étatisée. L’action sociale c’est faire tourner une casquette entre soi pour créer un fond de pension, pour créer un fond d’assurance chômage, pour se préserver des aléas de la santé etc… Il y a encore en Belgique, par exemple, d’une part ce que l’on appelle un Mouvement Ouvrier Chrétien qui fédère ensuite des mouvements d’éducation populaire, syndicats, mutuelles et coopératives, et l’Action Commune Socialiste qui tend à faire la même chose en face. Donc l’origine, la racine de l’éducation populaire c’est d’être une dimension culturelle de la production de l’action collective, et cette origine grosso modo s’estompe dans les années 1880-1890 dans la création d’actions spécialisées à l’intérieur du mouvement ouvrier. L’éducation populaire devient à ce moment là une des branches du mouvement ouvrier après en avoir été une des dimensions.

B – L’éducation populaire comme branche spécialisée du mouvement ouvrier

Le mouvement ouvrier va de façon symétrique et mimétique par rapport au capitalisme intégrer dans ses structures trois types de fonctionnements, finalités, et procédures en matière économique, qui vont internaliser les critères du marché. En Belgique et en Allemagne par exemple les grandes coopératives ouvrières sont aujourd’hui les formes du marché. La COB la banque ouvrière belge du côté chrétien est la septième banque du pays : Bien fin celui qui pourrait y voir une subtile distinction entre son fonctionnement et le fonctionnement du marché. La seule distinction fondamentale qui reste encore, c’est la socialisation des bénéfices, qui n’est pas négligeable. Il y a une action spécialisée en matière économique et une action spécialisée en matière sociale qui va évidemment devenir une mutualité, d’un côté, et le syndicat de l’autre, à partir de quoi apparaît une action spécifique en matière culturelle qui prendra différents noms. En France une généalogie très complexe de l’éducation populaire se noue. Cette période est celle de l’entre-deux guerres notamment, ou du Front populaire, et voit l’apparition d’associations spécialisées dans la culture (ciné-clubs, chansons, théâtre, livre…) ou dans les loisirs, les vacances, etc… Il est donc clair que cela devient une action spécialisée qui porte différents noms, à ce point spécialisée qu’elle va alors donner naissance à un troisième moment clé de l’éducation populaire qui est le moment de son institutionalisation dans ou auprès de l’appareil d’Etat.

C – L’institutionnalisation dans l’appareil d’Etat

Ce moment même de l’institutionnalisation de l’éducation populaire, à la charnière de la deuxième guerre mondiale, est un moment beaucoup plus ambivalent qu’il n’y paraît puisque c’est un projet qui, à la faveur notamment des maquis, va permettre – c’est un cas presque unique dans l’histoire de France me semble-t-il – un investissement civil de la société politique. C’est ce qui fait que cette institutionalisation est aussi grosse de promesses d’un développement démocratique potentiellement majeur, dans l’intuition des fondateurs, car cette civilisation de l’appareil d’Etat pourrait bien ouvrir la voie à une toute autre culture et à une toute autre pratique de la démocratie.

Traumatisés par l’impuissance des valeurs républicaines et de l’instruction transmise à l’école, à enrayer le fascisme, les refondateurs de l’éducation nationale décident de créer une direction de l’éducation politique, des jeunes et des adultes, et d’en confier la pédagogie non pas à des enseignants mais à des acteurs culturels. C’est là où apparaît la Direction de la Culture populaire et des mouvements de Jeunesse, en 1944. Sa matrice n’est donc pas un ministère de la jeunesse adolescente, mais un ministère de l’éducation critique des adultes. Elle connaîtra diverses appellations : Direction de l’éducation populaire et des mouvements de jeunesse, en 1945. En 1948, le groupe communiste à l’assemblée voyant que cette direction va lui échapper, propose sa fusion pour des mesures d’économies publiques, avec la direction de l’éducation physique et des activités sportives pour devenir une Direction générale de la jeunesse et des sports qui deviendra plus tard un Secrétariat d’Etat, puis un ministère.

Dans sa matrice originelle, fondatrice, il y a l’institutionnalisation de tous ces mouvements culturels de l’action sociale dans l’appareil d’Etat sous la forme d’une Direction de la culture populaire. Or, quels sont les moyens d’action choisis par cette Direction ? Pour l’essentiel les différentes disciplines artistiques disponibles à conditions qu’elles soient support d’une éducation politique. La radio, le cinéma, le théâtre, le livre etc… Sont mis alors en place dix huit instructeurs nationaux d’éducation populaire. (Pour le cinéma, ils étaient trois. (Ce sera le début, jusque dans les années 1950, de la grande vague des ciné-clubs, soutenus par Jeunesse et Sports.) Comme disait Christiane FAURE, collaboratrice de Guéhenno, : « Il fallait faire culture de tous bois ; tout était prétexte à faire culture ». On est bien là dans la question de l’esprit critique, dans la question de l’élaboration d’une critique sur le mode de vie, sur ce qu’est la société etc…

D – Fonctionnalisation dans l’animation socioculturelle

Cette institutionnalisation va conduire à ce que l’on pourra appeler la fonctionnalisation, qui va évidemment culminer dans le projet d’une animation socio-culturelle. Quand on parle « d’animation socio-culturelle », il est devenu à ce moment là presque clair qu’il y a des sujets qui animent des objets. On a presque fini la boucle : On est parti d’une démarche historique de sujets qui parlent, se parlent entre eux, et on en arrive à des agents qui animent des objets sociaux à qui ils proposent différentes procédures de consommation culturelle. On peut parler de « la dérive culturaliste » de l’éducation populaire. On désigne des objets artistiques à diffuser – ce que le ministère de la Culture réserve à l’éducation populaire, rebaptisée par ses soins « culture de proximité ». C’est l’idée de la démocratisation culturelle, incarnée par Malraux. Si les théories de MALRAUX marchaient, dira Bourdieu, les gardiens de musée seraient des gens follement cultivés. Avec le quatrième plan d’équipement, l’animation s’enferme dans le béton des équipements, se professionnalise, et se met à gérer ces équipements par une offre culturelle vers les populations solvables. On a beaucoup écrit sur cette période qui correspond à l’ascension vers le pouvoir des classes moyennes, réalisée en 1981 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. Les fonctions et les équipements se spécifient. Le projet d’un ministère de la culture, rêvé par les premiers instructeurs d’éducation populaire a vu le jour en 1959 au détriment de l’éducation populaire, d’abord intégrée au ministère Malraux puis rejetée en 1962 vers Jeunesse et sports.

E – Développement local, social, culturel…

Avec la gauche au pouvoir, l’Etat se fait animateur et la culture se réconcilie avec l’économie dans une théorie du management culturel et du développement local. La décentralisation coiffe cette « modernisation » de la vie politique sur fond d’économie libérale et de mutation financière du capitalisme. Les villes se gèrent comme des entreprises, la concurrence pour la subvention fait rage, et le développement est le nouveau paradigme. Pour autant, les premières émeutes urbaines apparaissent et avec elles le développement social et le traitement toujours plus affiné de populations toujours plus précises dans des dispositifs.

Ce qui est en cours aujourd’hui à différents endroits, c’est la reconversion de l’animation socio-culturelle en travail social de réparation, et comme les crédits se déplacent par ailleurs de la culture vers le social, parfois par l’intermédiaire de la ville, pourquoi ne pas reconvertir l’éducation populaire tout simplement dans l’insertion socio-professionnelle puisqu’à la fois manifestement il y a des gens à secourir et des fonds pour les secourir. On voit des associations d’éducation populaire historiques et célèbres à différents endroits se transformer en agence d’insertion et puis fermer pour cause d’absence d’insertion parce qu’il est épuisant de travailler à l’insertion sans projet politique. Ce n’est pas toujours simple de pervertir ou de contre-utiliser les dispositifs dans lesquels on est à partir du moment où l’on s’y est défini comme agent. Enfin, l’OCDE à la fin des années 90 publie des analyses où il apparaît clairement que les gisements de profits pour les placements financiers et les entreprises sont aujourd’hui dans les services publics. Nous en sommes là.

Avec le bénéfice du recul de l’histoire, il y a un avenir prodigieux pour l’éducation populaire à condition de la concevoir comme une dimension constitutive de l’action collective, et qu’à ce titre elle ne puisse plus dissocier, spécialiser, ce qu’on appelle le champ culturel, social, économique.

Le dos large et les épaules solides de Condorcet en font la référence universelle et le dénominateur commun des acteurs. A ceci près que Condorcet incarne ce tournant de la civilisation industrielle, où la culture va devenir un champ séparé, autonome, sans prise sur le monde réel : entendons celui du travail, de l’économie, de la production. La clôture symbolique de l’école de Condorcet est cette façon de la tenir à l’écart des enjeux sociaux. Or la production a changé. Le capitalisme n’est plus industriel, mais… culturel ! Ce sont des signes immatériels qui se vendent, et la culture est partout car c’est une marchandise. Le modèle de Condorcet est dépassé, et il nous faut nous réapproprier une conception de la culture qui intègre la société. C’est là tout l’enjeu d’une réappropriation politique de l’histoire : par une ironie de celle-ci, la modernité de l’éducation populaire se trouve dans son projet originel car ce sont de nouveau des sujets qui se parlent et qui élaborent une représentation de la société dont nous avons besoin par ces temps de pensée unique !

1 Cette partie doit à Luc Carton. In « Education populaire ou animation socioculturelle » Séminaires FFMJC.1994-1996.