Dans des structures à vocation sociale

Quand un service d’accueil de toxicomanes à l’hôpital se ressoude derrière sa directrice, délégitimée jusqu’ici

Un service d’accueil de jour pour des personnes toxicomanes au sein d’un hôpital est bloqué par un conflit entre une salariée et la cheffe du service. Nous intervenons auprès d’une assemblée qui réunit les salariés, dont la cheffe de service, un délégué du bureau et la directrice du service, qui est aussi co-directrice de l’hôpital et prochainement retraitée.

Derrière le conflit interpersonnel, l’analyse révèle un flou délétère sur le poste de cheffe de service, qui est occupé par une personne qui faisait partie de l’équipe. La création de ce poste ne s’est pas accompagné d’une autonomisation vis à vis de la directrice, qui dirige plusieurs services au sein de l’hôpital, dont celui-ci qu’elle a fondé. Il apparaît que la directrice garde la main et que la cheffe de service est cantonnée au rôle de relais, ou de paravent. Par ailleurs, elle a gardé un rôle sur le terrain aux côtés de l’équipe. Depuis 18 mois, les salariés s’adressent directement à la directrice.
Pendant l’intervention, l’équipe salariée et la cheffe de service examinent des propositions en tous sens, pour redéfinir, voire supprimer, ce poste intermédiaire. En parallèle, la directrice voit qu’en comblant les failles et en s’assurant en direct du bon fonctionnement des services, elle occupe la place de la cheffe de service. 

Plutôt que de focaliser sur le conflit interpersonnel, le travail d’analyse effectué a mis fin aux conditions de son émergence. Les fonctions des cheffe de service et directrice sont clarifiées, à la satisfaction de l’équipe, qui peut légitimer la cheffe de service dans ses fonctions. Le service gagne en autonomie vis à vis de la directrice, qui peut désormais préparer son départ à la retraite dans de bonnes conditions.

Quand une entreprise de réinsertion par le travail se réorganise autour du retrait de son directeur

Le directeur appelle un coach pour l’aider à basculer en entreprise libérée, une organisation de travail basée sur la confiance plutôt que le contrôle. Le coach recommande d’impliquer l’ensemble du personnel dans cette transformation. Il prescrit au directeur une socianalyse et fait appel à nous. Le directeur accepte notre dispositif : suspension de l’activité pendant trois jours, assemblée plénière de tout le personnel.

Le personnel se divise entre les bureaux, les camions de collecte et le hangar de tri. Une grande partie des ouvriers sont en contrats de réinsertion. Une évidence s’impose : passer en entreprise libérée nécessite l’adhésion de l’ensemble du personnel. Si les cadres ont plein d’idées et seraient prêts à jouer le jeu, la plupart des ouvriers ne sont pas demandeurs de l’entreprise libérée, mais voudraient plus de clarté dans la hiérarchie, voire un management plus ferme. 

L’analyse révèle que c’est le directeur qui a besoin de se libérer. En 4 ans, l’entreprise a grandi très vite pour atteindre quarante à cinquante personnes, or il a d’autres projets. Le directeur va travailler seul sur une proposition pour diminuer sa charge de travail. Pendant ce temps-là, le personnel a pour tâche de réorganiser le travail en tenant compte des idées qui ont été échangées depuis le premier jour.  

Dans l’après midi, le directeur s’adresse au personnel pour déléguer les taches dont il se décharge. A leur tour, les travailleurs présentent les propositions validées entre eux le matin, du rangement des gants aux horaires de travail. Le directeur va alors négocier ces propositions l’une après l’autre.

Quand la direction d’une maison de jeunes détendra les relations entre ses différents pôles

Nous sommes appelés pour des dysfonctionnements au sein de l’équipe salariée d’un espace jeunesse. Trois séminaires, de deux jours chacun, d’analyse des pratiques sont programmés sur les six mois à venir. La veille de la première intervention, une confrontation violente entre jeunes a mis fin à une activité dans le lieu. 

Privilégiant le réel et l’urgence sur le programme, nous proposons de travailler cette situation concrète. L’équipe ne parvient pas à définir une réponse collective à cet incident. Si la présence des jeunes dans le séminaire semble contre-intuitive, elle s’avère nécessaire pour analyser la situation et définir une réponse. Ils sont invités sur le champ pour l’après-midi même. Ils répondent nombreux à l’appel, et la séance de l’après-midi redistribuera les places et les rôles au sein de cette assemblée.

Le séminaire suivant révélera une tension entre les deux pôles d’activités de la structure : un accueil des jeunes du quartier, fondé sur les valeurs de l’éducation populaire, et un studio d’enregistrement visant des musiciens semi-professionnels sur un plus grand territoire. L’analyse de cette tension  met à jour la confrontation de deux visions de l’activité  : une vision idéologique refusant la séparation de ces deux pôles dans la gestion de la structure et une vision pragmatique la réclamant. Cette confrontation qui se rejoue dans chaque petite décision bloque le fonctionnement de cette équipe.

La directrice, portant la vision pragmatique et en poste depuis un an, ne trouve pas sa place. La salariée fondatrice, portant la vision idéologique, n’accepte pas l’évolution de fait de la structure. Notre intervention autorisera la salariée-fondatrice à partir et permettra à l’équipe de basculer dans un nouveau mode de direction, fondée tout à la fois sur une séparation de ces deux pôles et la formalisation de nombreux liens les unissant au sein de la même entité. 

Quand un lieu de vie analyse la tension entre son mythe fondateur et ses dispositifs de financement pour se libérer des deux

La directrice d’une structure d’accueil de publics dits fragilisés fait appel à des socianalystes pour élucider des difficultés que l’équipe n’arrive pas à s’expliquer, provoquant épuisement professionnel et turn-over, perte de sens et tensions interpersonnelles depuis plusieurs mois. Elle connait la socianalyse par l’intermédiaire d’un lieu de vie du même réseau associatif qui y a eu recours quelques mois auparavant.

Une première session de trois jours permet de mettre à jour plusieurs causes à ces difficultés :

  • le projet d’accueil inconditionnel s’est plié au fil du temps aux différents dispositifs d’accueil de publics fragiles, et à leurs contraintes,
  • si les nouveaux salariés logent sur place, conformément à l’idéal, ce n’est plus le cas des anciens salariés, produisant des effets de privilèges et de passe-droit.
  • le surtravail de certains permanents les rend, dans la culture de cette structure, incritiquables,
  • le mythe fondateur – faire famille – incite à une implication professionnelle sans limites : ce qui est appelé « avoir compris le projet ».

La fin de cette première session est dramatique : le mythe fondateur, structurant l’organisation, tombe au milieu de l’assemblée, laissant un grand vide de sens et créant et un sentiment de panique. L’assemblée décide de se réunir pour une deuxième session quelques mois plus tard et nomme une commission pour la mettre en place.

Le confinement du printemps 2020 est passé par là quand nous nous retrouvons pour cette deuxième session, d’une durée de quatre jours. Le confinement a interrompu les chantiers d’insertion professionnelle, cet arrêt révèle le poids de ce pan de l’activité, qui structurait les journées pour l’ensemble de la structure. Pendant le confinement, la nécessité d’entendre les besoins d’intimité s’est imposée, elle est passée dans la pratique avec un relâchement sur l’obligation de « faire famille ». Le mythe fondateur est maintenant ressenti comme paternaliste, et a perdu son attrait radical et magique.

Cette deuxième session, grâce au travail fait pendant la première session et aux effets du confinement, a permis de faire émerger un nouveau rapport au projet associatif. C’est maintenant la libre adhésion qui gouverne la participation de chacun aux temps collectifs : cela redonne de la liberté et du pouvoir aux volontaires et aux services civiques maintenant membres à part entière de l’équipe. Une vigilance collective est décrétée face à la sur-implication professionnelle. C’est un renversement total dans le rapport moral au travail et à l’engagement dans cette structure. Le droit à une vie privée en dehors du travail s’impose, ce qui n’était jusqu’ici peu légitime puisque « faire famille » n’est pas un travail quantifiable avec des horaires fixes.

Au niveau des publics, l’accent est aussi mis sur la libre adhésion, l’obligation est levée de prendre les repas ensemble, d’accepter toutes les demandes de coup de main, ou de participer aux activités collectives. L’accueil inconditionnel n’est plus porteur de sens; car il est maintenant perçu comme incompatible avec l’adhésion libre au projet. La structure a posé des restrictions à sa capacité à accueillir tous les profils auprès de l’Aide Sociale à l’Enfance et mène une réflexion sur l’arrêt des chantiers d’insertion,et la mise en place d’actions hors dispositifs de financement, ouvertes à toutes et tous sans obligation de présence, et donc en libre adhésion.