Quand la confrontation cède le pas à la coopération dans un réseau associatif
001 est une association d’envergure nationale, renommée tant pour son objet social que pour son mode de gouvernance, elle attire de nombreux bénévoles et compte une vingtaine de salariés. Depuis quelques mois, un tiers des salariés a démissionné. Les explications en interne sont diverses : de l’ordinaire turn-over aux tensions interpersonnelles, et jusqu’à de profonds désaccords sur la gouvernance. Le bureau cherche un intervenant suffisamment éloigné de l’association pour oser toutes les remises en questions. Parmi les dossiers présentés, la socianalyse se distingue par la simplicité des conditions de l’intervention et l’absence de méthodes établies à l’avance.
L’assemblée est composée de trois représentants du bureau et des salariés, y compris, à notre demande, les salariés démissionnaires, les raisons de leurs départs respectifs étant, a priori, des éléments essentiels à la compréhension de la crise que traverse l’association.
L’intervention met en évidence une crispation entre deux visions de la mission, complémentaires en théorie, mais qui se confrontent quand il s’agit d’allouer des ressources. Pour certains, dont beaucoup de démissionnaires, les salariés sont au service des projets qui émergent des groupes locaux de bénévoles. En face, d’autres défendent l’intérêt de développer des projets ambitieux, exemplaires, à l’échelon national, qui nécessitent l’implication de tous les salariés, des levées de fonds, et sur le terrain la mise au pas des bénévoles, au service de ces projets. Ces projets vitrines sont ceux qui attirent les bénévoles, sur le terrain il s’avère décevant pour eux de n’être que les petites mains de ces projets, portés par les salariés, à l’échelon national.
Aux prises avec une croissance rapide de l’activité, le mode de gouvernance ne parvient pas à maintenir l’équilibre entre ces visions. La technicité des outils de gouvernance n’est pas maitrisée aussi bien par tous et les plus aguerris monopolisent les débats. Dans l’urgence, une logique de confrontation, avec son cortège de manœuvres et jeux d’influence, a pris le pas sur la coopération, pourtant une valeur fondatrice de l’association. Les démissionnaires partagent un sentiment d’impuissance, qui les a poussé au départ.
Pour réduire la pression et renforcer la logique de coopération, il est décidé de réduire le volume d’activité, de rétablir l’équité vis à vis du mode de gouvernance. En les nommant, l’assemblée a pu mettre un terme aux logiques de confrontation. Suite à cette première intervention, l’assemblée nous confiera la conduite de quatre journées de travail pour revisiter les fondamentaux de l’organisation. La nouvelle équipe trouve une organisation du travail assainie, les tensions entre les visions sont apaisées et la dynamique de coopération est rétablie.
Quand la transmission d’un bar-restaurant associatif nécessite d’affronter le départ de la fondatrice
Le bureau d’un bar-restaurant associatif demande une intervention pour renforcer la participation des bénévoles, formaliser un modèle de gouvernance partagée, accueillir la coordinatrice récemment engagée, ré-affirmer la nature du projet avant le prochain départ de la fondatrice.
De manière surprenante, l’analyse révèle un projet bien affirmé et très exigeant ; un arsenal de procédures de travail existant ; de nombreuses instances de décision et une sur-implication de nombreux bénévoles – certains sont proches de l’épuisement, d’autres sont déjà partis.
La dimension politique du projet se déploie dans les activités d’animation et de restauration, l’alimentation de transition. Le bar incarne la dimension affective de cette aventure et suscite une autre forme d’engagement des bénévoles. Les tensions sont exacerbées par la professionnalisation et l’augmentation du volume d’activités.
Derrière les nombreuses instances et procédures, la fondatrice tient à bout de bras l’ambition du projet, l’engagement « sans limites » d’un noyau dur servant d’étalon au niveau d’implication attendu de la part de nouveaux bénévoles. Le départ de la fondatrice nécessite que les responsabilités soient redéployées, au delà de ce noyau dur, en tenant compte des réalités des bénévoles.
Cette intervention a posé les bases d’une refondation, en autorisant les bénévoles à prendre en compte leurs contraintes. Elle a clarifié la transmission de ce projet associatif d’un noyau d’anciens vers une communauté de bénévoles. Le quatrième jour, l’assemblée définit les orientations suivantes : simplification du schéma de gouvernance, articulation des responsabilités du CA, des bénévoles et des salariées, ouverture d’une discussion sur la nature et le volume des activités.
Quand les permanents et les bénévoles font table rase pour partager leurs responsabilités
Un hameau isolé dans la montagne accueille des mineur.e.s placé.e.s par l’A.S.E., des chantiers d’insertion et des chantiers de volontaires. Les permanents vivent sur place, certains sont salariés, d’autres volontaires. Tous sont là pour des durées limitées à un ou deux ans. Le point de départ : l’épuisement des permanents, plutôt jeunes, et un turn-over important. Les permanents manifestent une perte d’énergie et de sens. Les bénévoles membres du CA, plus âgés, ne savent pas comment s’y prendre pour que la structure perdure : l’idéal autogestionnaire de la génération fondatrice ne porteraient plus les jeunes permanents, qui seraient dans l’action concrète à petite échelle plutôt que dans la poursuite d’un idéal.
La plupart des anciens défendent le modèle initial demandant une polyvalence et une disponibilité totale. La plupart des permanents se sentent assignés à représenter un modèle bienveillant plutôt que conflictuel, une vision professionnelle plutôt que militante, la protection de la vie privée plutôt que l’engagement dans le projet. Beaucoup de bénévoles ont joué un rôle important, bien malgré eux, dans la dépossession, au sein de l’équipe de permanents, de la maîtrise de leur travail. Il y avait « ceux qui font » sans voix au chapitre comme dans une entreprise qui aurait un atelier d’une part, et des ingénieurs en chef d’autre part, « ceux qui pensent ». L’analyse révélera aussi le poids des facteurs externes : depuis sa création, ce hameau a bien grandi, les publics ont changé (notamment l’accueil de publics difficiles), et les modes de financement aussi (par dispositifs publics et fonds privés). Le modèle fondateur n’est plus adapté à la complexité actuelle du projet. Le turn-over qui était naturel (volontariat, objection de conscience) est devenu problématique.
L’organisation a oeuvré à faire tenir tous ces enjeux ensemble, en mettant en place des instances mixtes, des commissions, des groupes de travail, etc. Au fil du temps, l’organisation est devenue d’une complexité démesurée. Un système de gouvernance « partagée » a fait écran entre ceux qui assurent 24h/24 la responsabilité des jeunes, et une large couronne mouvante de penseurs, parfois ex permanents, ou futurs permanents, militants, cherchant à exister dans et par l’association, la dynamique générale donnant à l’investissement dans le fonctionnement des commissions plus de poids qu’à l’investissement dans le quotidien du village. Les instances sont désertées par les permanents, qui y voient une charge de travail supplémentaire. Du fait de leur absence, les bénévoles ne trouvent plus de sens à y être, ces instances étant privées de la capacité à agir sur la vie de la structure, représentée par les permanents. La vie associative se délite et s’étiole, comme paralysée de l’intérieur.
Les intervenants proposent à l’assemblée de définir les instances minimales à la gestion de l’activité, en prenant pour contrainte que ceux qui décident soient ceux qui fassent. Cet exercice va dessiner les modes de gouvernance à venir, permettant de redonner du mouvement et de la fluidité dans l’organisation. Les anciens sont mis face à une obligation d’agir pour que leur vision soit prise en compte, et les permanents face à l’obligation de lâcher du pouvoir et laisser une place aux bénévoles.
Cette nouvelle configuration va permettre l’engagement de bénévoles qu’on entendait moins, moins motivé par le mythe fondateur que par une grande envie de contribuer. D’autres vont s’autoriser à mettre un terme à leur engagement de très longue date. Du côté des permanents, ceux qui sont usés peuvent partir, mais ont, suite à cette intervention, retrouvé le désir de construire une organisation capable d’accueillir les suivants, adaptée à la réalité actuelle de la structure, et reconnaissant donc, pour les permanents, la nécessité d’un temps personnel, et de compétences spécifiques liés à leur poste.
Quand une ferme urbaine exclue un bénévole pour renouer avec ses ambitions fondatrices
Depuis quelques années, une association a créé et s’occupe d’une ferme urbaine suite à un appel à projet. Elle gère une parcelle agricole de quelques hectares mise à disposition par la commune, une grande métropole, et s’est donnée une double ambition :
- distribuer des paniers de légumes à des prix accessibles aux habitants du quartier populaire voisin.
- produire ces légumes collectivement et “autrement”, en permettant à des publics n’ayant pas accès à la terre de pouvoir découvrir et s’essayer au maraîchage ou à d’autres productions agricoles.
Selon les membres de l’association, la production nécessite un encadrement professionnel, nécessitant des compétences de maraîchage et d’animation, réalisé jusqu’ici par deux personnes travaillant bénévolement. L’un des deux encadrants est le fondateur du projet. L’autre est un maraîcher expérimenté.
Lorsque l’on nous appelle, un recrutement est en cours pour un poste d’encadrement à plein-temps. La date limite de dépôt des candidatures internes a été repoussée puis annulée, en attendant l’intervention d’un tiers : le maraîcher a postulé à cette embauche, soutenu par une partie de l’association, tandis qu’une autre partie de l’association souhaite l’exclure du projet associatif.
Nous sommes appelés par le fondateur pour résoudre ce conflit, explorer les failles et les zones de flou dans la gouvernance qui ont conduit à l’imbroglio actuel et retrouver une cohésion dans la double ambition de ce projet. Une douzaine de personnes se réuniront sur le site en notre présence.
L’intervention a éclairé comment le comportement du maraicher et ses prises de position ont eu comme effet de révéler et d’insister sur les failles, les oppositions, les antagonismes entre ces deux ambitions : il défend une qualité et un volume de production qui s’accommode mal d’un investissement bénévole intermittent ou basé sur le plaisir et le bien-être sur le terrain.
Parmi les personnes présentes pendant notre intervention, plusieurs l’accusent de comportement sexiste et raciste, et pointent son incompétence pour l’accueil du public dit fragile. D’autres le soutiennent : les stagiaires et service civique défendent ses compétences, y compris pour l’accueil et l’encadrement. Le choix sera fait par l’assemblée présente de son exclusion de l’association, et ce choix est motivé par le dépassement d’un point de non-retour : auprès de plusieurs personnes, la confiance est rompue.
Pour autant, cette décision n’entérine pas l’opposition entre ces deux ambitions, bien au contraire. L’analyse produite par l’assemblée pendant cette intervention a permis de dépasser le clivage entre ces deux ambitions pour en voir un autre, divisant autrement les personnes présentes : le camp des personnes qui pensent qu’une des ambitions doit soumettre l’autre, et donc qu’il faut choisir, et le camp des personnes qui pensent qu’il s’agit de les articuler.
Le départ du maraicher bénévole ré-ouvre la possibilité d’une articulation de ces 2 visions, intention structurant le projet initial, mais freinée au départ par l’absence de forces vives et gelée par le conflit ensuite. Le projet s’en retrouve ainsi clarifié. Mais cette bascule nécessite une transmission de cette analyse auprès des bénévoles non-présents à l’intervention, qui pourraient quitter le projet suite à l’exclusion du maraicher.
Deux vigilances sont soulignées :
- que l’exclusion ne soit pas réduite à la victoire de quelques féministes radicales sur un homme qui a pris beaucoup de place et beaucoup de responsabilités.
- que cette exclusion ne soit pas perçue comme la victoire du social sur l’économique, c’est-à-dire un renoncement à une production de qualité avec un volume signifiant
A l’issue de cette intervention, le conseil d’administration demeure en sous-effectif, le projet associatif tient jusqu’alors sur le surtravail de quelques personnes, et l’association nécessite toujours une coordination, estimée à un mi-temps, que le fondateur ne souhaite plus faire. Mais l’association a retrouvé la capacité à travailler son projet et inventer chemin faisant son histoire, et l’espère-t-elle, donner envie à de nouvelles personnes de la rejoindre.