Outils et méthodes

J’adore les outils pour animer des groupes. J’ai participé à de nombreux stages pour en acquérir des nouveaux, j’adore animer des stages visant à transmettre des outils. Faciliter le travail d’un groupe, qui généralement cherche à faire avancer des causes qui me semble juste, me procure beaucoup de satisfaction.

Avec l’expérience, je perçois maintenant la mécanique derrière tous ces outils. Et la magie n’opère plus. Un auteur a beaucoup compté dans mon parcours, car il apporte une réflexion très à propos sur le rapport aux outils : Ivan Illitch. Voici une citation :

« L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place. Or il est manifeste aujourd’hui que c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave. L’outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur ; l’outil élaboré, complexe, secret est un maître arrogant.

L’outil reste convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent qu’il le désire. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil. »

Cette citation m’a beaucoup marquée.

J’ai rédigé la section « outils » du site internet de la Scop Le Pavé et de la revue No 2 des Cahiers du Pavé, présentant des outils que nous utilisions. J’ai longtemps hésité, craignant que ces recettes ne remplacent le travail nécessaire de sélection et d’adaptation des outils à utiliser en fonction du contexte.

Mais, pour ma part, j’ai appris en répétant des recettes apprises ici ou là, avant d’acquérir la capacité à les adapter, à les transformer, à en inventer, en fonction des besoins que j’avais. Dans ces écrits, il manquait quelque chose : l’explicitation de ce qui constituent ces outils, pour les prendre pour ce qu’ils sont, et non pas des formules magiques.

Qu’est-ce qu’un outil d’éducation populaire ?

Sans doute parce que ce n’était pas encore très clair pour moi à l’époque. Vu d’aujourd’hui, j’en dirais ceci :

Un outil d’éducation populaire est un ensemble organisé de contraintes proposées à un groupe pour faciliter un travail d’élaboration collective qu’il s’est lui-même fixé. Ces contraintes visent à égaliser la place de chacun dans cette production collective, et donc à permettre au groupe et aux individus qui le composent de vivre des espaces-temps émancipés des rapports de domination qui s’exerceraient sinon sur lui.

Les contraintes proposées par ces outils portent souvent sur les mêmes registres :

  • le nombre de personnes
  • le temps
  • le type de paroles
  • le type de restitution
  • la règle d’accès à la parole

La formule secrète des outils de l’éducation populaire

Pour démystifier ces outils, voici la formule secrète pour en élaborer de nouveaux :

Prenez 5 dés à 6 faces et préparer de petits autocollants de la taille de la face d’un dé.

Chaque dé sera associé à un registre de contraintes et chaque face de ce dé proposera une règle pour gérer ce registre. Vous aurez ainsi, pour chaque registre de contraintes, 6 possibilités différentes.

Voici une proposition de départ pour les faces de chacun de ces dés :

  • Dé « Nombre de personnes » :
    1 -2 -3/4 – 5/6 – ½ groupe ou 1/3 de groupe – plénière
  • Dé « temps » :
    5mn – 10mn – 30mn – 1h – le premier qui a fini – tout votre temps
  • Dé « type de paroles » :
    Arguments – Anecdotes – Témoignages – Avis – Ressentis – Libre
  • Dé « type de restitution » :
    Rapporteur – Paper-board – Aucune – Dessin – scénette – Image
  • Dé « prise de parole » :
    lever le doigt, tour de table, aucune, tickets de parole, un homme / une femme, selon un critère fixé à l’avance : âge, ancienneté…

Pour élaborer vos consignes, il n’y a plus qu’à jeter les dés ! Mais il y a de fortes chances que le résultat ne soit pas adapté, car il faut réfléchir au contexte et aux intentions d’un temps collectif.

Et, malheureusement, aucun outil ne permet de s’affranchir de ce temps de préparation et de réflexion sur le déroulement d’un temps collectif.

D’où cette autre citation d’Ivan Illitch : «  un outil avec lequel travailler … »

Aujourd’hui, je continue de proposer des formations à des outils d’éducation populaire, dans lesquelles, au-delà de l’initiation à des processus de travail, j’essaie de formaliser l’intérêt et les limites des outils proposés, pour faciliter l’utilisation de ces outils, leur adaptation et leur transformation en fonction des contextes et des intentions.

Pour autant, très nombreuses ont été les situations où une formation à des outils visait, selon la direction, à restaurer de la confiance au sein d’une équipe de travail. Effectivement, la formation donnait une bouffée d’air à l’équipe, et le temps de la formation, les relations au sein de l’équipe étaient plus fluides, parce que l’équipe n’avait plus à produire pendant ces quelques jours, et le conduite du groupe était assurée par une personne extérieure à l’équipe…

Je pense que tous ces outils ont un postulat qui ne se dit pas : ils nécessitent que les individus qui composent le groupe aient envie de travailler ensemble, car ces outils ne peuvent pas créer cette envie. Et lorsque cette envie n’existe pas, ou n’existe plus, alors ces outils sont bien impuissants à changer quoi que ce soit à la situation.