#2 – Comment mobiliser ?

Serait-ce une question d’outils ?

On prête souvent à l’éducation populaire la vertu quasi-magique de pouvoir mobiliser des personnes sur une action, un événement, un projet. Il y aurait ainsi un savoir-faire, des outils, des méthodes, qui permettrait de « faire venir les gens ». La mobilisation serait ainsi une question d’outils et de techniques.

La méthode de loin la plus efficace en terme de mobilisation, c’est le contact direct entre les « mobilisateurs » et les personnes que l’on souhaite mobiliser, c’est-à-dire le bouche-à-oreille. Le reste – fly, mail, affiche… – fonctionne très peu, hormis comme pense-bête (date, lieu, horaires) des personnes mobilisées en direct.

Je me suis dans ce texte intéressé à la question de la mobilisation d’habitants, ou de personnes que l’on peut situer comme public de nos actions ou organisations. Ces personnes ont a priori intérêt à se mobiliser.

Il y a bien d’autres enjeux dans la mobilisation, notamment de partenaires, qui parfois n’ont pas intérêt à ce que vos projets ou actions aient lieu ! Il est ici possible de proposer un tête-à-tête avec ces partenaires pour comprendre les condition à leur mobilisation dans vos actions. Ce sera sans doute parfois de devoir s’adresser à la hiérarchie de vos partenaires. Les stratégies à déployer sont plutôt alors à aller chercher du côté du plaidoyer et du lobbying et sortent alors du champ de l’éducation populaire.

La mobilisation est avant tout une question de réseau, c’est-à-dire de confiance établie entre des acteurs d’une situation. Faire réseau, donner confiance, c’est une question de temps – c’est bien plus long de s’adresser à des personnes directement que d’envoyer un mail ou de poser des affiches – et surtout d’énergie : c’est énergivore que de s’adresser en direct à des personnes, et c’est bien cela qui donne confiance ! On sent bien, dans un dialogue, qu’il est inefficace de réciter un speech et de s’en tenir là. C’est pourtant ce que l’on propose comme relation lorsqu’on envoie un mail. Et on se plaint ensuite que les gens ne viennent pas…

Regarder le problème en face

Mobiliser, c’est inviter des personnes à participer à une aventure que vous proposez. Si les personnes déclinent cette invitation, on peut penser que c’est la faute des personnes et qu’on ne peut rien faire de plus. C’est peut-être vrai mais ça n’aidera jamais à améliorer la mobilisation. Le point de départ pour mobiliser est donc d’accepter de comprendre ce qui amène « les gens » à décliner l’invitation qui leur est faite.

Pensons à la « mobilisation », dans son sens militaire : si on n’y est pas obligé par la loi, on s’engage dans l’armée pour défendre sa patrie, parce que c’est une cause à laquelle on croît, ou pour la solde, le salaire. Pour une organisation citoyenne, c’est très difficile de mobiliser des personnes qui ne sont pas sensibles à la cause sur laquelle on souhaite mobiliser : on ne peut pas les obliger et on ne peut pas les payer !

Alors pourquoi s’obstiner ? Souvent parce qu’on y est obligé par sa hiérarchie, ses financeurs… Difficile alors de ne pas tomber dans les fausses solutions…

Le contraire de mobiliser, c’est « immobiliser ». On voit bien alors comment mobiliser signifie « mettre en mouvement ». Les fausses solutions aux problèmes de mobilisation ont en commun de ne proposer que des formes passives d’engagement, des « immobilisations »…

Pour mettre du mouvement

Mener l’enquête

La meilleure manière de connaître les sujets sur lesquels les personnes seraient prêtes à se mobiliser, c’est… de leur demander. Les processus d’éducation populaire commencent ainsi généralement par une phase d’enquête publique, en privilégiant ici aussi le contact direct. A travers un questionnaire ou du porte-à-porte, on peut vite savoir si un sujet est porteur d’une éventuelle mobilisation ou non.

En terme de mobilisation, j’ai participé à inventer une méthode plutôt facile et ludique d’enquête publique : le Porteur de Paroles. Il s’agit d’afficher une question en grand format dans l’espace public, puis de récolter et d’afficher l’avis des passants à cette question. Vous trouverez ici une vidéo présentant cette méthode et ici sur mon site une page sur cette méthode avec un livret, que j’ai rédigé, conçu pour passer à l’action.

Demander de l’aide

Lorsqu’on ne voit pas le rôle qu’on pourrait jouer dans une situation, il est bien difficile de s’y investir ! De fait, si des personnes se sentent concernées par une cause, le plus efficace pour les mobiliser est tout simplement d’avoir besoin d’elles ! Ce qui nécessite plusieurs choses :

  • que ce soit vrai, c’est-à-dire qu’on ne préfère pas se débrouiller seul, ce qui est souvent plus simple que de faire à plusieurs…
  • avoir l’humilité suffisante pour demander de l’aide et préférer cela à donner des ordres car c’est souvent démobilisant pour des bénévoles
  • viser l’émancipation des personnes et se rappeler de la phrase de Marx : « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » !

ProblèmeFausse solutionAvant une réunionPendant une réunionAprès une réunion
Les gens ne sont a priori pas concernés par l’objet de la mobilisationCherchera à recruter plutôt qu’à mobiliser, avec des méthodes proches du marketing, au risque de considérer les personnes comme de clients à fidéliserMener l’enquête auprès des premiers concernés sur leur préoccupationsExpliquer pourquoi on a besoin d’eux (il faut donc qu’on ait besoin d’eux…)




Clarifier les intentions, les cibles, les objectifs






Des traces claires du processus











Célébrer les actions
Les gens ne sont pas au courantCherche à informer plutôt qu’à mobiliser, avec des méthodes proches de la comm’, au risque de considérer les personnes comme des récepteursDes 1 to 1 avec des leaders de la communauté visée, qui recruteront pour vous et vous éduqueront sur le comment faire ?Établir ensemble une stratégie de mobilisation, lister les alliés
Les gens n’osent pas venir, sont intimidés par le format proposéJouer sur le prestige d’assister à ce rassemblement, au risque de considérer les personnes comme des spectateursDéléguer des fonctions, donner des places, du pouvoir à des personnes / aller chez eux plutôt que les inviter chez nous / commencer dans des petits groupesUtiliser les codes de la communauté visée : un repas plutôt qu’une réunion ?
Les gens ne voient pas leur rôle, ne croient pas dans la stratégie, craignent l’instrumentalisationPour persuader des personnes méfiantes, il y a deux options : convaincre, par la rhétorique, ou manipuler. Au risque de considérer les personnes comme des pionsAssocier les personnes à la stratégie, discuter en amont, faire preuve de transparence dans les limites et les marges de manœuvreParler des sujets chauds en toute transparence : financements, statuts, marges de manœuvre, objectifs, limites
Les gens sont venus mais ne reviennent pasMettre en avant des modalités représentatives et choisir judicieusement des indicateurs masquant la démobilisation, au risque d’ignorer les personnes qui ne reviennent pasMener l’enquête pour comprendre les raisons de la démobilisation : c’est ce qui permettra d’adapter les formats de rencontre, les revendications, les stratégies… aux personnes à mobiliser et non d’attendre l’inverse…Définir ensemble les suites de la réunion, associer l’assemblée aux décisions

L’organisation communautaire

En terme d’éducation populaire, l’approche la plus construite sur la mobilisation est sans conteste l’organisation communautaire, ou en anglais, le community organizing. Ci-dessous plusieurs liens pour en savoir plus sur cette approche.

Quelques principes du community organizing :

  • utiliser le vocabulaire est plus généralement les codes culturels des personnes que l’on souhaite mobiliser. Cela semble relever de l’évidence mais, souvent pour des raisons de manque de préparation et de facilité, nous organisons une rencontre que l’on souhaite convivial comme un conseil des ministres avec ordre du jour, tribune, demander la parole avant de parler, prise de parole longue, sérieuse et construire, etc.
  • multiplier les « 1 to 1 » – grosso mode des têtes-à-têtes – pour construire une mobilisation.
  • construire la mobilisation à partir des leaders d’une communauté (qu’on aura pris soin de rencontrer en « 1 to 1 »!) car le bouche-à-oreille sera alors très efficace ! Les rencontres avec ces leaders sont aussi une occasion de « mener l’enquête » par des entretiens individuels, complémentaires des réponses que l’on peut obtenir auprès de passants dans la rue, ou des partenaires.
  • consacrer la moitié de son temps et de son énergie à célébrer les réussites tout au long du projet, de l’action, de la campagne que l’on entreprend avec les personnes car ce sont ces moments-là qui seront fédérateurs pour les moments suivants

Pour aller plus loin