#4 – Comment faciliter la participation de chaque personne ?

Une grande difficulté dans l’animation d’un groupe consiste à réguler la parole. Sans régulation, la parole est effectivement souvent réservée à quelques personnes, les plus habituées ou légitimes à la prendre, de par leur ascendant sur le groupe, liée à leur position hiérarchique, mais aussi leur ancienneté, leur genre (masculin), leur race (blanche) ou leurs diplômes (élevés).

Plus la réunion est formelle, plus ce phénomène sera fort : si la régulation de la parole se fait ainsi plus ou moins naturellement dans des discussions informelles, elle va se formaliser d’une manière ou d’une autre dans une réunion.

La limite des tours de parole

La règle la plus basique va consister alors à lever le doigt pour prendre la parole et attendre son tour. S’il y a un animateur à la réunion, il va ainsi prendre les tours de parole et la distribuer au fur et à mesure.

Sans animateur, une technique consiste à lever un doigt pour le premier à demander la parole, puis deux doigts pour le second qui la demande, puis trois doigts pour le troisième et ainsi de suite. Chaque personne abaisse un doigt dès qu’une prise de parole est terminée. Cela permet au groupe de s’auto-réguler : lorsqu’une personne se retrouve à lever plus de cinq doigts, chaque personne voit qu’il est nécessaire d’attendre un peu avant de se mettre dans la file des demandes de prise de parole.

Fonctionner par tour de parole amène à avoir la parole longtemps après l’avoir demandée. Les échanges ayant eu lieu entre le moment où on a demandé la parole et le moment où on l’obtient amène souvent à vouloir réagir, rebondir, sur plusieurs sujets. Les prises de parole peuvent alors souvent être longues et porter sur plusieurs sujets.

Un groupe qui fonctionne ainsi est souvent amené à tenir plusieurs discussions en parallèle. Il est alors difficile de suivre un fil de discussion. Les plus habitués à prendre la parole prennent alors des notes pour structurer leur prochaine prise de parole.

Face à des prises de parole qui s’allongent, il est alors difficile pour la plupart des personnes de suivre ces fils de discussion multiples et de maintenir une écoute attentive… et au final d’oser demander la parole !

Avec des tours de parole, il est difficile, lorsqu’on a enfin la parole, de revenir au sujet sur lequel on souhaitait intervenir lorsqu’on a demandé la parole. Il faut oser couper le fil de discussion en cours. Comme l’envie de rebondir sur les différents sujets traités en parallèle est forte, il s’agit d’être clair et concis sur chacun de ces sujets. Tout ceci nécessite une grande compétence… qui est souvent celle des personnes habituées à prendre la parole, la majorité se retrouvant le plus souvent dans un rôle très passif.

Prendre des tours de parole pour permettre à chaque personne de s’exprimer se révèle ainsi souvent contre-productif. C’est face à ce constat que beaucoup en appelle à l’éducation populaire et ses outils pour sortir de cette impasse.

Quelques outils pour réguler la parole

La double-liste

Tenir une double liste, c’est prendre les tours de parole à l’aide d’une feuille de papier avec deux colonnes : une première avec les demandes de personnes ayant déjà parlé, et une deuxième avec les demandes de personnes ne s’étant pas encore exprimées. L’animateur donne alors d’abord la parole aux personnes inscrites dans la deuxième colonne, puis quand elle est vide, revient à la première.

Cela privilégie l’accès à la parole aux personnes qui la prennent peu, en coupant la file des personnes l’ayant déjà eu. L’ayant plus rapidement, les prises de parole s’inscrivent plus facilement dans le fil de la discussion.

A l’usage cependant, même avec une double liste, il peut vite être intimidant pour beaucoup de personnes de demander la parole au-delà d’une certaine taille de groupe. Beaucoup s’auto-censurent en vérifiant l’intérêt de ce qu’ils ont à dire, en se demandant si c’est le bon moment pour le dire, en questionnant leur capacité à exprimer correctement ce qu’ils souhaitent dire… là où d’autres ne se posent pas assez, voire pas du tout, ces questions…

Les petits groupes

Pour que chaque personne puisse s’exprimer, la solution qui semble alors s’imposer, c’est de passer en petits groupes. Mon expérience montre qu’en deçà de 5 personnes, il est effectivement simple de prendre la parole.

Si l’idée est de faire en sorte que chaque personne puisse s’exprimer sur un sujet, c’est la meilleure manière d’y arriver ! Mais fonctionner en petits groupes implique la plupart du temps de rapporter ensuite au groupe entier ce qui s’est dit dans les petits groupes.

A une séquence en petits groupes suit donc une séquence en grand groupe où des rapporteurs vont se succéder. Exercice bien difficile que de rapporter de manière concise la richesse d’une discussion ! Un écueil consiste alors à rapporter l’ensemble de la discussion, un autre écueil à ne donner que les conclusions, qui font souvent peu sens sans le processus qui a permis de faire émerger ces conclusions.

Par ailleurs, après un temps en immersion en petit groupe, il est difficile de se rendre attentif aux différents rapporteurs : on a souvent la tête encore plongée dans la discussion de notre petit groupe… Et c’est encore plus difficile lorsque les rapports sont très longs, ou trop courts…

Finalement, la plupart des participent n’écoutent vraiment que leur rapporteur, vérifiant la fidélité du rapport qui est fait de son petit groupe , et attendent poliment la pause en n’écoutant que d’une oreille les autres rapporteurs…

Le tour de table

En voilà un outil qui régule radicalement l’accès à la parole ! Outre le fait que c’est vite fastidieux au-delà d’une certaine taille de groupe, la principale limite au tour de table, c’est que cet outil annihile le principe d’une discussion, où l’idée est bien de confronter des idées, de les faire évoluer en vue d’arriver à des propositions ou des décisions collectives.

Un tour de table permet de récolter des positions individuelles. Après le tour de table, il peut y avoir la tentation de passer directement à la phase de proposition, voire de décision. Ce qui revient alors à zapper la phase d’élaboration collective et de choisir, parmi les positions individuelles, ce qui deviendra la position collective.

La meilleure position individuelle sera alors sans doute la position la plus construite, donc celle émanant le plus souvent de la personne en direction du groupe, la personne ayant déjà le plus de pouvoir ou d’influence au sein du groupe, celle qui a le plus réfléchi au sujet avant même la réunion, celle qui a la meilleure vision globale du sujet.²

Il est peut-être alors encore plus simple que cette personne commence par donner sa position et de vérifier auprès du groupe si cette position lui convient. Mais qui osera alors s’opposer à cette personne, en ayant moins d’information et ayant moins réfléchi que cette personne au sujet ? Sans contre-pouvoir, la réunion risque alors de se transformer en chambre d’enregistrement des positions des leaders du groupe. On quitte alors clairement le principe d’une réunion participative !

Le rôle de l’animateur

Comme on peut le voir, il n’est pas simple de faciliter la participation de chaque personne à une réunion ! Plutôt que d’affronter collectivement la différence d’influence des participants à une réunion, l’idée est souvent de s’en remettre à un animateur, qui lui-même va facilement s’en remettre à l’usage d’outils.

Animer une réunion renvoie à plusieurs conceptions du rôle de l’animateur. Voici une des tensions principales de la fonction d’animation d’une réunion : s’agit-il de donner un accès égal à la parole ou tenir le fil de la discussion ?

Comme souvent, il s’agit bien de faire les deux en même temps. Ce qui pourrait se formuler ainsi : garantir non pas un accès égal à la parole mais une qualité d’écoute égale à chaque prise de parole.

Organiser une écoute égale de chaque personne

L’animateur doit donc se donner la responsabilité d’interrompre ce qui parasite l’écoute d’une personne, quelle qu’elle soit. Ce qui revient à interrompre les apartés, suspendre la discussion le temps d’ouvrir ou fermer des fenêtres, que le vidéo-projecteur s’installe ou les cafés se servent, interrompre la discussion pendant qu’une personne arrive pour l’accueillir, faire en sorte que personne ne s’occupe sur son portable, aider et soutenir une personne qui serait brouillon dans sa prise de parole, etc. Et aucun outil, malheureusement, ne fera ce travail à la place de l’animateur !

Pour que chaque personne soit entendue, il est préférable qu’elle puisse s’exprimer devant l’ensemble du groupe et non pas dans un petit groupe. Si les petits groupes facilitent l’expression de chacun, il n’y a bien que le grand groupe qui permettra à chacun d’être entendu de tous. Mais il est vrai que le rôle de l’animateur est plus difficile pendant un moment de plénière que pendant un moment en petits groupes.

Tenir le fil de la discussion

Et sur le fond de la discussion, le rôle de l’animateur est de faire en sorte que les sujets devant être traités soient traités, ce qui revient à tenir le fil de la discussion. Donc, concrètement, à recentrer des prises de parole qui s’éloignent du fil de la discussion, voire interrompre des prises de parole digressives. Dans ce travail, il ne s’agit pas de fonctionner de la même manière avec chaque participant : il pourra être nécessaire de couper quelqu’un qui parle beaucoup mais de laisser s’exprimer, voire de soutenir, quelqu’un qui a du mal à exprimer ses idées. Et, là aussi, aucun outil ne permettra de faire ces choix à la place de l’animateur.

Permettre à un groupe de suivre le fil d’une discussion, c’est aussi reformuler clairement des tensions ou des contradictions qui s’expriment au travers des prises de parole de plusieurs personnes, visualiser les différentes options qui s’offrent au groupe sur un sujet, proposer régulièrement une synthèse de ce qui s’est dit, veiller à ce que des choses ne se répètent pas, vérifier avec le groupe s’il est nécessaire de prolonger la discussion, voire de l’orienter sur ce qui nécessite de l’être. Ici encore, il y a bien peu d’outils qui vont permettre de piloter une discussion à la place de l’animateur. Et tant mieux ! C’est tout l’intérêt et la richesse de la fonction d’animation d’un groupe !

Pour aller plus loin

In English

Ci-dessous la vidéo sous-titrée en anglais et la « pop-note » qui l’accompagne. Habillage et sous-titrage de la vidéo, traduction et mise-en-page de la pop-note par l’équipe de l’Approche par les Communs du Gret, que je remercie !