#5 – Faut-il des outils pour animer une réunion ?

De quoi parle-t-on ?

Depuis le début du XXIème siècle, on assiste à un renouveau de l’éducation populaire. Ce renouveau s’inscrit dans son époque, c’est-à-dire centré sur l’efficacité de ses propositions. Cela se traduit particulièrement dans la recherche et l’usage immodéré d’outils estampillés « éducation populaire ».

Ces outils semblent promettre une facilité à mobiliser des participants, égaliser l’accès à la parole, garantir la qualité des discussions, des propositions émises et des décisions prises. A tel point qu’utiliser ces outils suffirait à s’inscrire dans un authentique processus d’éducation populaire. S’inscrire dans le courant de l’éducation populaire se traduirait donc par le fait de se former à ces outils puis de les appliquer dans les groupes dont on a la charge.

Du côté des militants de l’éducation populaire, ces outils auraient la capacité de contenir les rapports de domination systémiques nécessairement à l’oeuvre au sein d’un groupe : rapport de classe, de genre, de race, d’âge, notamment.

En effet, un outil d’éducation populaire est un ensemble organisé de contraintes proposées à un groupe pour faciliter un travail d’élaboration collective qu’il s’est lui-même fixé. Ces contraintes visent à égaliser la place de chacun dans cette production collective, et donc à permettre au groupe et aux individus qui le composent de vivre des espaces-temps émancipés des rapports de domination qui s’exerceraient sinon sur lui.

Ces outils, à l’aide des contraintes imposées à la discussion, visent à contenir les inégalités d’accès à la parole, et ainsi rétablir autant que possible une forme d’égalité dans la participation de chaque personne à la réunion. Les contraintes proposées par ces outils portent souvent sur les mêmes registres : le nombre de personnes, le temps, la règle d’accès à la parole, le type de paroles, le type de restitution.

Do It Yourself

Voici un outil pour fabriquer vos propres outils : dans le tableau ci-dessous, entourez une réponse par ligne, définissant ainsi une règle pour chacun des registres proposés.

Nombre de personnes123 ou 45 ou 6Groupe divisé en 2, ou 3 ou 4Plénière
Temps5mn10mn30mn1 heureLe premier qui a finiLe temps qu’il faut
Accès à la paroleLever le doigtTour de tableTickets de paroleUn homme / une femmeUn nouveau / un ancienLibre
Type de parolesArgumentsAnecdotesTémoignageAvisRessentiLibre
RestitutionRapporteurPaper-boardDessin, scénette ou image théâtraleDébriefing collectifLibreAucune

Bravo, vous venez d’inventer un outil d’éducation populaire ! Vous pouvez lui donner un nom, en faire une marque et proposer des formations pour transmettre votre trouvaille. Votre outil est sans doute précieux et fort bien pensé pour certaines situations. Et pour toutes les autres ?

Quelle importance donner aux outils ?

Le recours à des outils peut facilement donner l’illusion d’une réunion bien préparée. Mais des outils plaqués sans réflexion sur une réunion risquent probablement de créer des sentiments de gêne et de solitude chez les participants comme chez l’animateur.

La question devient donc surtout une question d’analyse du contexte et de préparation de la réunion. La mauvaise nouvelle, c’est qu’aucun outil ne permet de s’affranchir de ce temps de préparation et de réflexion sur le déroulement d’un temps collectif.

La bonne nouvelle, c’est que lorsqu’on prend le temps de réfléchir à ce que l’on veut faire, il est simple d’inventer l’outil qui conviendra.

Dans d’autres cas, le recours à ces outils est une manière de tenter de cacher un problème dans le fonctionnement d’un groupe. Ces outils auraient ainsi la vertu de régler des problèmes collectifs sans même avoir à les poser dans le groupe. C’est alors le signe qu’il y a bien trop d’importance donnée à ces outils et méthodes.

Car malheureusement, ces outils feront au mieux illusion un certain temps : aucun ne permet d’éviter le travail des tensions qui se manifesteront nécessairement dans le groupe. Voici quelques cas de figure pour lesquels les outils font bien plus partie du problème que de la solution.

Quand les outils évitent le conflit d’idées

Beaucoup d’outils dits d’éducation populaire visent à travailler le consensus au sein d’un groupe : le World Café, la gestion par consentement, l’élection sans candidats, la boule de neige. De fait, la plupart de ces outils proviennent du management et pas de l’éducation populaire. Ils visent l’efficacité dans le travail d’un accord collectif en oblitérant la phase de travail des désaccords, d’analyse des contradictions, de confrontation des arguments, bref, du conflit d’idées.

C’est pourtant en confrontant les points de vue qu’il sera possible d’élaborer des propositions qui puissent en tenir compte. En évitant la recherche et le travail des désaccords, on laisse s’accumuler « de la poussière sous le tapis » ou « les gouttes d’eau dans le vase ».

Cependant, on ne peut pas non plus passer notre temps à travailler des désaccords, ce qui peut en effet prendre du temps. Dans les agendas contraints de beaucoup de personnes, il est nécessaire de rechercher une forme d’efficacité dans une réunion. et d’éviter qu’une réunion ne devienne un moment de règlement de compte ou un procès sauvage au sein d’un groupe.

Cela va devenir un problème si le groupe, ou l’animateur, est dérangé par le principe même de travailler des désaccords sur un sujet. Car il y a parfois la confusion entre conflits d’idée et conflits de personne comme s’il n’était plus possible pour qui que ce soit de supporter la contradiction.

Quand les outils remplacent le sens

S’il n’y a plus le désir, la volonté, la confiance ou la capacité à travailler ensemble dans un groupe, aucun outil ne pourra restaurer ce manque sans travailler ce qui l’a abîmé. L’utilisation d’outils peut alors masquer ce qui pose problème dans le groupe, en ayant des processus qui permettent de fonctionner, parfois comme si de rien n’était.

Mais dans ce fonctionnement dégradé que les outils peuvent aider à tenir, les participants comme l’animateur sentent bien qu’il y a de moins en moins de sens à cette aventure collective, de plus en plus subie.

La perte de sens peut alors être comblée par les valeurs supposées d’outils dits d’éducation populaire. Comme si l’utilisation de certains outils garantissait par eux-mêmes le sens d’une séquence de travail.

Dans ces cas-là, les outils utilisés deviennent plus importants que les sujets traités. On fait « une élection sans candidats » plutôt que d’élire le bureau de l’association. On fait un « world café » plutôt que de réfléchir aux projets de l’association. On fait un « tour météo » plutôt que de prendre des nouvelles des uns et des autres avant une réunion.

Pour que ces outils ne comblent pas un manque de sens, pas d’autres solutions que de passer par une phase de réflexion : à quoi sert cette réunion ? Qu’est-il attendu de cette réunion ? Faut-il définir à l’avance des contraintes sur le déroulement des discussions ? Pour quelles raisons ?

Quand les outils permettent de ne pas se dire des choses

Un groupe est souvent confronté à la difficulté d’avoir à gérer le comportement d’un de ses membres. Il peut être délicat de confronter le membre en question à ses actes. Et lorsque ces actes se répètent, il devient de plus en plus coûteux de faire cette démarche car c’est avouer être dérangé par un comportement qui dure depuis de plus en plus longtemps.

Il est alors tentant de proposer des règles ou des outils qui s’appliqueront à tous les participants d’une réunion plutôt que d’aller voir Michel pour lui dire qu’il parle trop et qu’il coupe souvent la parole, surtout aux femmes.

Ne pas confronter Michel à son comportement, c’est avoir l’assurance qu’il va poser problème à d’autres endroits. Et multiplier le règles collectives plutôt que de s’adresser à Michel, c’est aussi augmenter le ressentiment vis-à-vis de Michel.

Et Michel va probablement sentir que des reproches ne lui sont pas dits. L’utilisation de ces outils créé alors une forme d’hypocrisie où tout le monde sait que chacun fait semblant d’être à l’aise mais personne ne peut en parler…

Et si on démarrait sans outils ?

Une méthode de réunion qui sert le groupe est une méthode qui se fait oublier au profit de la discussion. C’est l’indicateur d’une discussion fluide et vivante. Après vingt cinq ans d’expérience dans l’éducation populaire, je trouve que la meilleure méthode est sans conteste la discussion à bâtons rompus.

Je propose donc de commencer par là et d’être attentif à la manière dont se déroule la discussion : est-ce que chaque participant est à l’aise pour contribuer à la discussion ? Est-ce que la discussion progresse, permet de faire avancer le groupe dans son travail ou y-t-il quelque chose qui entrave ce travail ?

Selon ces observations, il pourra alors être bienvenu d’interroger le rapport à la parole de telle ou telle personne pour que chacun soit à l’aise dans la discussion.ou de proposer au groupe tel ou tel outil pour fluidifier la discussion. Et d’observer ensuite si les outils utilisés facilitent ou entrave la vitalité d’une discussion.

Il s’agit ici de faire confiance au collectif a priori, et d’installer des contraintes sur la parole en fonction des difficultés rencontrées. Et non partir du principe que le groupe ne saura pas éviter des dérives éventuelles et qu’il faut le protéger à l’aide d’outils.

Cette confiance peut se donner lorsqu’un groupe est amené à se réunir régulièrement. Au fil des réunions des ajustements peuvent se faire, des comportements être renvoyés, des désaccords être travaillés, etc. C’est même alors un des enjeux du groupe que de faire en sorte que chaque membre soit à l’aise dans sa participation au groupe.

Il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit d’une réunion exceptionnelle, de par la composition de l’assemblée, ou des enjeux à traiter, ou de sa médiatisation ou encore du passif affectif convoqué par cette réunion. Voici donc pour finir quelques principes guidant la conception ou le choix d’outils et de méthodes en fonction du contexte.

Pour aller plus loin

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