#8 – Comment intégrer les nouvelles personnes ?

C’est quoi le problème ?

Mobiliser des personnes sur un moment n’est pas simple (voir 5mn d’éduc pop #2), animer des temps pour que chacun et chacune trouve sa place non plus (voir 5mn d’éduc pop #4). Mais avec un peu de méthode, de disponibilité et de bonne volonté, on y arrive. La difficulté tient souvent à tenir cette ouverture dans le temps, à faire en sorte que des personnes s’intègrent dans une organisation.

Si la place des nouveaux venus n’est pas travaillée, le risque est grand de voir se dessiner un groupe d’anciens, qui se connaissent bien et décident de tout, et une périphérie de petites mains qui renoncera tôt ou tard à faire partie de cette organisation.

Le groupe de départ, les fondateurs, ont-ils réellement le désir de partager leur organisation avec des nouveaux venus ? Ce désir est souvent un idéal qui tient peu face à la réalité : nous préférons nous retrouver entre nous pour faire avancer une cause, vivre des réunions et des actions, même si c’est parfois dur de se l’avouer.

Accueillir au long cours

Un indicateur de la volonté réelle d’intégrer des nouveaux dans un groupe, c’est la place laissée à leurs avis, leurs réactions, leurs questions. Il est maintenant fréquent de solliciter un nouveau dans une équipe à travers un rapport d’étonnement : recueillir ses étonnements après quelques temps passés dans le groupe, c’est accéder à ce qui ne se dit pas ou plus, ce qui ne se voit pas ou plus, car cela relève de l’évidence, et c’est permettre de réinterroger ces évidences.

Mais au-delà de ce rapport d’étonnement, quelle importance est donnée aux demandes, avis et questions des nouvelles personnes ? Cette volonté d’accueil doit être permanente, au long cours, sans quoi la distinction entre un « nous », les anciens, et un « eux », les nouveaux, ne disparaîtra pas.

Lorsque le groupe se réunit, y-a-t-il l’envie d’aller vers les nouvelles personnes autant que vers des relations établies ? Cette envie est-elle partagée par l’ensemble du groupe ? Y-a-t-il des personnes « inaccessibles » ? Il n’y a ici pas de méthodes ou de techniques pour accueillir au long cours, juste l’invitation à observer la réalité de ce désir : beaucoup d’organisations souhaite augmenter leur taille, pour gagner en importance, en puissance, mais renvoient à la responsabilité de chaque nouvelle personne le travail de s’intégrer au groupe. Cela a pu fonctionner sur la base d’un partage d’une idéologie forte, politique ou religieuse par exemple, mais aujourd’hui, sans cet accueil, le risque est grand que les nouvelles personnes partent rapidement.

Se raconter collectivement

Le cœur de la difficulté à intégrer des nouvelles personnes est le suivant : comment faire pour que de nouvelles personnes « rattrapent » le vécu commun aux plus anciens membres du groupe, ciment des relations interpersonnelles et fondation des pratiques collectives ? Je présente ici deux méthodes de récits d’expérience facilitant ce travail.

« Petite Histoire / Grande Histoire » :

Chaque personne est invitée à remplir un tableau à 2 colonnes – petite histoire et grande histoire – et à une ligne par année depuis sa naissance. La petite histoire est constituée d’anecdotes personnelles, la grande histoire d’anecdotes ayant trait à tout ce qui dépasse son histoire personnelle, et notamment ce qui est en lien avec la raison d’être de l’organisation.

Après avoir laissé un temps pour remplir ce tableau, vient le moment du partage : année après année, chaque participant peut raconter, ou non, les anecdotes inscrites dans son tableau. Au fil de ce récit collectif vont apparaître les histoires personnelles de chacun mais aussi les origines et les fondations de l’organisation. Tout ceci étant raconté par de multiples voix, à l’oral et de manière spontanée, chaque participant aura ainsi la sensation de ressentir les trajectoires de chacun et celle de l’organisation.

Pour aller plus loin :

– La SCOP Le Pavé a réalisé une revue sur les récits de vie et notamment sur la technique Petite Histoire / Grande Histoire. Elle peut être achetée et/ou téléchargée en PDF ici (sur le site des Editions du Commun).

– Sur ce site, il est possible de télécharger la fiche pratique Petite Histoire / Grande Histoire réalisée par l’équipe de la SCOP Le Pavé.

La systématisation d’expériences :

Cousine latino-américaine de la capitalisation d’expérience, cette méthode d’éducation populaire propose à un groupe ayant vécue une expérience sur laquelle elle souhaite s’appuyer par la suite de la systématiser.

Il s’agit ici de se raconter cette expérience à partir de chacun des points de vue présents à travers une réalisation manuelle collective : à l’aide de papier, de crayons, de pâte à modeler, de scotch, etc. il s’agit de se restituer la géographie, la chronologie, la répartition des tâches dans une expérience, en la symbolisant graphiquement et en la racontant aux autres pour faire évoluer la représentation graphique de cette expérience.

Cette manière de faire permettra d’accéder aux ressentis de chaque personne et à des éléments très concrets qui ne seraient pas ressorti dans une analyse plus intellectuelle.

A défaut de pouvoir dire « j’y étais ! », les nouvelles personnes vont pouvoir, à travers le récit, comprendre, et même ressentir,ce qui s’est passé, ce qui s’est joué dans les expériences collectives du groupe. Le désir de de rendre accessible ce vécu, de partager les ressentis de ce vécu, démontrera la volonté du groupe de s’ouvrir à de nouvelles personnes.

Pour aller plus loin :

Donner du pouvoir

Partager des récits, c’est créer des liens affectifs. C’est donner une place parmi les anciens, c’est autoriser les nouveaux à faire partie du groupe. Cela peut suffire à intégrer des nouvelles personnes dans un groupe. Mais pour y jouer quel rôle ?

Intégrer de nouvelles personnes, c’est aussi accepter que ces personnes prennent du pouvoir sur ce que propose l’organisation. Sans quoi seules les personnes se satisfaisant d’un rôle de figurant ou d’exécutant resteront dans le groupe, même si elles y ont une place.

Intégrer des nouvelles personnes, c’est ainsi leur déléguer des tâches, des rôles, des fonctions au sein de l’organisation. C’est en ayant accès à des responsabilités que des nouvelles personnes sauront qu’elles comptent pour cette organisation. Cette transmission de responsabilités peut être plus ou moins formalisés et organisés.

Plus ce processus est objectif et transparent, plus il est simple pour un nouveau de se repérer dans l’organisation et de comprendre ce qui est attendu de lui. Plus ce processus est subjectif et opaque, plus l’organisation donnera l’impression qu’il s’agit de plaire aux anciens. S’agit-il d’intégrer les personnes qui le souhaitent ou les personnes que les anciens souhaitent ?

S’agit-il d’intégrer de la nouveauté, de la différence, ou de chercher de la similitude ? S’agit-il de recruter des profils choisis (plus ou moins consciemment) ou de composer avec les volontaires ?

Selon les réponses de l’organisation à cette question, les parcours proposés aux nouvelles personnes dans l’organisation seront plus ou moins formalisés, objectifs et transparents. C’est aussi en se posant clairement ces questions entre anciens qu’il est possible d’améliorer l’accueil réservé aux nouvelles personnes.

Légitimer les nouveaux

La légitimité a ceci de particulier qu’elle ne peut que être donnée par une autorité. Nul ne peut se légitimer lui-même. Ce que chacun peut faire pour soi, c’est travailler sa confiance en soi, ce qui est différent.

Pour légitimer des personnes, il faut donc qu’il y ait une ou des autorités qui se reconnaissent comme telles dans l’organisation. Ces autorités peuvent être formelles et liées à des instances ou des statuts, ou informelles et liées à l’ancienneté, au charisme ou à la compétence.

Si personne ne se reconnaît comme faisant autorité dans l’organisation, il y a de fortes chances que cette organisation soit incapable de légitimer de nouvelles personnes. C’est souvent le drame des organisations horizontales dans lesquelles accepter de faire autorité serait avouer se situer dans un rôle de dominant.

Légitimer une personne, c’est ainsi lui rendre accessible des instances, des responsabilités, des temps. C’est lui donner un statut supérieur au nouveau venu. Dans les organisations horizontales, il n’y a souvent qu’un seul statut : celui de membre à égalité avec les autres. Il est alors très difficile pour un nouveau de se sentir légitimé par l’organisation. Reste alors le travail de la confiance en soi…

Créer du vécu commun

Proposer aux personnes arrivantes dans une organisation d’avoir accès au récit subjectif du passé de l’organisation et de ses membres (petite histoire / grande histoire), proposer de se raconter les expériences communes vécues par les anciens et ce qui fait leur force et leur particularité (systématisation d’expériences), c’est partager ce qui fait commun au sein du groupe.

Ce partage permet aux personnes arrivantes de se situer dans cette organisation et bien souvent de prendre une place dans les réunions et actions futures.

Clarifier un fonctionnement qui permet à ces personnes de prendre du pouvoir et des responsabilités, avec souvent des statuts évolutifs, c’est formaliser le rôle de l’organisation dans l’intégration des personnes arrivantes.

Cependant, si les anciens fonctionne en groupe affinitaire, et se retrouvent régulièrement de manière informelle, toutes ces bonnes pratiques ne permettront pas d’intégrer de nouvelles personnes : elles sentiront alors qu’elles ne font pas partie de la famille, de la tribu, du clan.

La réponse est alors simple : il s’agira d’ouvrir ces espaces aussi aux personnes arrivantes. Partager ces moments informels, multiplier les temps de vécu commun, c’est à coup sûr faciliter l’intégration des nouvelles personnes du moment, mais c’est rendre toujours la marche plus haute pour les nouveaux de demain ! A partager tant de vécu commun, c’est se garantir qu’à un moment ou un autre, on aura le sentiment que « c’était mieux avant »…

In English